Les Origines du Sao Lim

Shaolin est le nom générique donné aux arts de combat chinois dits externes ou durs (également prononcé "Sao-Lim", ou encore "Siulam" suivant les dialectes). Basés essentiellement sur des techniques de frappes, ces systèmes recourent également à des mouvements de projections, de luxation etc.

Le nom Shaolin fait référence à un monastère bouddhiste de la province du Henan, nommé monastère de la jeune forêt (’Shaolin si’). Selon la légende, c’est dans ce monastère qu’au sixième siècle de notre ère le moine indien Bodidharma (Ta Mo en chinois) aurait fondé le courant bouddhiste Ch’an (Zen) après neuf ans de méditation dans une grotte.

Bodidharma, trouvant les moines de Shaolin dans un état de décrépitude physique ne leur permettant pas de supporter les longues séances de méditation, leur aurait enseigné certains exercices afin de les rendre plus endurants. Ces exercices auraient par la suite engendré l’art de combat du monastère. Cette thèse n’est cependant accréditée par aucune source crédible contemporaine. C’est seulement dans un manuscrit postérieur de plusieurs dizaines d’années à la mort supposée de Bodidharma qu’il est fait mention pour la première fois d’un moine séjournant à Shaolin, capable de déplacer aisément des objets forts pesants et qui en outre, aurait montré certaines aptitudes au combat ; toutefois, le véritable événement fondateur de la tradition guerrière du monastère se produisit vers l’an 620 lorsque treize moines aidèrent Li Shimin (futur empereur de la dynastie Tang) à mater la rébellion du général Wang Sichong. Dès lors les références aux moines de Shaolin apparaissent régulièrement, notamment sous les Ming quand aux côtés des forces impériales et grâce à leur excellente " escrime au bâton ", ils infligent de lourdes pertes aux pirates japonais qui avaient pris pied dans les provinces du Jiansu, du Zhejiang et du Fujian. Même si la pratique de la boxe au temple de Shaolin est évoquée dès le 6ème siècle , ce n’est que vers la fin du 16ème siècle, que plusieurs visiteurs (dont un lettré de l’époque) rendent compte en des termes très élogieux de la boxe pratiquée au monastère (Shaolin chuan).

La fresque encore visible dans le temple de Shaolin représentant un groupe de moines à l’entraînement, quant à elle, ne date guère que du 19ème siècle. Il est cependant intéressant d’y observer les attitudes plutôt compactes et le peu d’exubérance des techniques de jambes utilisées.


Le fameux siège du temple par les troupes de la dynastie mandchoue, puis sa mise à sac, suivie de son incendie et du massacre des moines, se rapporterait semble-t-il à un autre temple Shaolin s’étant autrefois élevé dans la province méridionale du Hokkien (Fujian), mais dont l’emplacement exact reste inconnu à ce jour.

Apparemment nombreux furent en Chine les monastères tant bouddhistes que taoïstes dans lesquels les moines s’entraînèrent aux arts de combat, souvent pour des objectifs peu conformes aux préceptes de leur religion. En effet, au cours de l’histoire apparaissent des moines tantôt engagés aux côtés des troupes impériales, tantôt combattant parmi les paysans en rébellion, quand ils ne sont pas eux-mêmes directement instigateurs de troubles... Activités plutôt surprenantes au regard du respect absolu de la vie et du détachement que prônent ces deux religions. Avec le temps, de nombreux systèmes de combat émergent dans les communautés rurales et urbaines. Chacun de ces systèmes étant conditionné par un environnement naturel et social propre (villages, clans, monastères, familles, corporations etc.), ils possèdent de ce fait des techniques, des armes (ou objets usuels susceptibles de le devenir) ou des stratégies de combat qui leur sont spécifiques. Ainsi des populations passant l’essentiel de leur existence sur des bateaux furent-elles naturellement portées à développer une grande stabilité et n’accordèrent que peu d’intérêt aux déplacements, car ceux-ci étaient limités par la taille et l’encombrement des embarcations. En revanche les moines ou les marchands, plus exposés aux bandits de grands chemins, s’intéressèrent particulièrement aux déplacements et aux changements de directions, caractéristiques d’une confrontation contre un groupe d’assaillants.

Les moyens de communication étant alors peu développés et le culte du secret bien établi, ces systèmes évoluèrent souvent en vase clos durant plusieurs générations. Les rares pratiquants ayant l’occasion de voyager et la chance d’être initiés à plusieurs styles de combat devinrent souvent ces combattants jugés exceptionnels dont l’histoire retint les noms, et créèrent par la suite des styles devenus fameux.


Sek Koh Sam (释高参 Shi Gao Can) 1886 - 1960

L’histoire du Hood Khar Paï est assez obscure. Apparemment il ne fut pratiqué que dans des monastères jusqu’en 1940, ce qui expliquerait qu’il ne se soit que très peu répandu. A cette date, un moine du nom de Sik Koe Chum quitta le Hokkien pour se rendre en Indonésie puis à Singapour, et enfin en Malaisie. C’est dans ces trois pays qu’il enseigna son art à des élèves non-moines, au nombre desquels Maître P’ng Chye Khym qui deviendra son successeur sur l’île de Penang (Malaisie).

Nombres d’anecdotes plus ou moins fantasmagoriques entourent la vie, les voyages et les exploits du révérant Sik Koe Chum ; la plupart d’entre elles ont été forgées par des gens souhaitant accroître leur prestige personnel en amplifiant l’aura d’un maître qu’ils n’auront que peu, voire pas fréquenté. La position de maître P’ng (qui refuse généralement de spéculer sur le sujet) se résume en une phrase : Quelles que furent les capacités des ancêtres, ce qui compte réellement ce sont les vôtres... Entraînez-vous !

Les écoles de combat ayant fréquemment été liées en Chine aux sociétés secrètes, pouvoirs occultes et parallèles, révoltes, etc., nombreux furent les gouvernements qui tentèrent d’en limiter la pratique. Ces tentatives d’interdiction ne firent qu’en accroître le prestige et les rendirent d’autant plus populaires. C’est finalement le pouvoir communiste qui, lors de la révolution culturelle, porta le coup le plus rude aux arts de combat traditionnels chinois grâce à un mélange de répression féroce (maîtres exécutés ou mutilés devant leurs élèves) et de détournement habile de la pratique. Ce processus donna une impulsion décisive à ce que l’on appel aujourd’hui les arts de combat chinois modernes.

Orientés surtout vers le spectaculaire et l’esthétique, ceux-ci sont enseignés comme discipline sportive, avec compétitions, médailles, brevet d’enseignant d’état et perspective de carrière cinématographique. Ces disciplines acrobatiques, très impressionnantes pour le non-initié, furent en fait soigneusement dépouillées de ce qui faisait l’essence même des arts de combat au profit de techniques empruntées à l’opéra chinois et de postures propres à l’esthétique de cette époque. Une coquille désormais vidée de sa substance.

La manœuvre produisit bien l’effet escompté et canalisa la grande majorité des candidats à l’étude des arts de combat vers ces pratiques séduisantes mais dénaturées. Si bien que les rares maîtres ayant survécu à la révolution culturelle n’éveillèrent bientôt plus d’intérêt parmi la jeunesse locale et s’éteignirent pour beaucoup en emportant avec eux leur savoir.
Par chance, bien avant la révolution culturelle, la diaspora chinoise avait exporté dans toute l’Asie du sud-est et même jusqu’en Amérique et en Europe, de nombreux systèmes de combat qu’elle entretint avec ferveur (ainsi d’ailleurs que beaucoup d’autres traditions que la révolution culturelle fit disparaître en Chine populaire). Taiwan accueillit également bon nombre de maîtres d’arts de combat ayant suivis les troupes nationalistes du Kuomintang dans leur ultime retraite.

Textes de Dominique Falquet